Réflexion autour de l’impôt de solidarité sur la fortune, entre justice sociale et enjeux culturels

Œuvres d’art et ISF. Les œuvres d’art, les objets de collection et d’antiquité a sont exonérés de l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Cette disposition résulte d’un amendement déposé par le gouvernement à la demande du président de la République en 1981, dès la mise en place du nouveau dispositif fiscal. Mais cette exonération continue à faire débat. Les considérations de justice sociale et de rentabilité économique s’opposent aux arguments tirés notamment de la difficulté d’évaluer – et donc de taxer – les œuvres d’art, et des préoccupations de politique culturelle. Le Conseil des impôts s’est prononcé en 1998 en faveur de l’intégration des œuvres d’art dans l’assiette de l’ISF. Depuis lors, au cours de la précédente législature, chaque année, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances devant l’Assemblée nationale, un amendement en ce sens était adopté en commission des finances, puis en séance. Le gouvernement, attaché au maintien de l’exonération, était donc annuellement conduit à demander aux députés une seconde délibération, afin qu’ils reviennent sur cette disposition. Depuis 2002, l’exonération des œuvres d’art n’a pas été remise en cause. Pour ses partisans, la suppression de l’exonération favoriserait la redistribution des revenus et la justice fiscale. D’un point de vue économique et financier, il s’agirait d’imposer des capitaux considérés comme non productifs, voire des valeurs spéculatives. Enfin, une telle mesure serait, selon le député Brard, un moyen de lutter contre la fraude fiscale et le blanchiment d’argent sale. Afin de contourner les difficultés liées à l’évaluation des biens artistiques et à leur volatilité, pour éviter aussi des mesures inquisitoriales et réduire les risques de contentieux, l’amendement prévoit des modalités d’imposition simplifiées. La valeur imposable serait estimée à 3 % de la valeur globale du patrimoine net du contribuable. Ce mécanisme s’inspire du forfait mobilier de 5 % retenu pour la liquidation des droits de succession. Le taux de 3 % constituerait un plafond, le contribuable disposant toujours de la possibilité de contester l’évaluation. Toutefois, dans le but de favoriser l’accès aux œuvres d’art, la création et la protection du patrimoine artistique, les auteurs de l’amendement prévoient que les biens artistiques seraient exonérés dans trois cas : œuvres présentées au public, œuvres d’artistes vivants, biens meubles constituant le complément artistique ou historique d’immeubles classés ou inscrits. Il s’agit donc bien d’une mesure de nature symbolique. De fait, le montant annuel des recettes attendues, de l’ordre de 22,8 à 42,6 millions d’euros, resterait modeste au regard des 2,4 milliards d’euros procurés par l’ISF en 2001. Le Conseil constitutionnel a précisé à deux reprises que l’impôt sur le patrimoine, “en raison de son taux et de son caractère annuel […] est appelé normalement à être acquitté sur les revenus des biens imposables”. On peut donc se poser la question du bien-fondé d’une taxation des œuvres d’art, qui ne procurent pas de revenus. Quant aux répercussions d’une telle mesure, elles sont ainsi décrites par l’Observatoire des mouvements internationaux d’œuvres d’art, présidé à l’époque par André Chandernagor : “Taxer les œuvres d’art dans le cadre de l’ISF n’est pas réaliste en termes de contrôle, d’expertise, de risque de fuite des collections vers d’autres pays. Cela découragerait également les propriétaires privés (entreprises et collectionneurs) de participer, par leur mécénat et le prêt de leurs œuvres, à la politique culturelle de l’État et des collectivités territoriales.”En tout état de cause, si l’exonération était remise en question, il conviendrait de s’interroger sur la cohérence générale du dispositif fiscal. Le député Douyère concluait dans un rapport remis en 1999 qu’en l’état actuel de l’ISF, toute réforme est “inutile et dangereuse pour la préservation de notre patrimoine et pour le développement de la création”. Ladite réforme nécessiterait de revoir l’ensemble du système de l’ISF et de revenir en outre sur le principe de la taxe forfaitaire sur les métaux précieux, les bijoux, les objets d’art, de collection et d’antiquité, puisque cette taxe trouve sa justification dans l’exonération dont bénéficient les détenteurs d’œuvres d’art en matière d’ISF.