L’analyse scientifique à l’aide de la justice

Par qui, comment, pourquoi ? L’expertise des biens culturels fait l’objet d’une jurisprudence foisonnante.
De la découverte à l’authentification. Profession en devenir, l’expertise est aujourd’hui de plus en plus fréquemment le fruit d’un travail d’équipe faisant intervenir, sous la direction et le contrôle de l’expert, des « sachants » et des analystes scientifiques, du moins pour les pièces de grande valeur. Spécialistes reconnus d’une période de l’histoire de l’art, de tout ou partie de l’oeuvre d’un artiste, voire d’une technique, les sachants apportent à l’expert, outre la caution morale découlant de leur notoriété, un savoir très précis dans le champs d’analyse qui est le leur. Les analystes scientifiques, pour leur part, fournissent des données susceptibles de faciliter l’identification de l’auteur d’une oeuvre, de permettre sa datation, de caractériser l’emploi d’une technique, de mettre en valeur des étapes du processus même de création… Par la coordination de ces activités et la combinaison de ces données, dont il apprécie la pertinence, l’expert réunit un faisceau d’indices qui lui permet de se prononcer sur l’identification et, corrélativement, si besoin est, sur l’évaluation de l’oeuvre soumise à son appréciation. L’accomplissement du travail de l’expert suppose donc aujourd’hui, entre autres compétences, que celui-ci possède une connaissance détaillée des limites des différentes méthodes d’analyse scientifique existantes. Tenu à une simple obligation de moyens et comptable des deniers de son client, il lui appartient, en effet, non pas de recourir systématiquement à l’emploi de toutes les méthodes d’analyse scientifique, mais de décider de l’opportunité de l’utilisation de celles-ci. Il devra ensuite discuter de la pertinence des résultats ainsi obtenus. Quoi qu’aient pu en dire quelques inconditionnels, l’analyse scientifique ne constitue pas en effet une panacée rendant inutile le recours à l’expertise. Elle est simplement une auxiliaire de celle-ci, au même titre que le recours aux sachants. Ce n’est pas ce qu’avaient pensé les juges en 1951, en prenant la décision, à propos de la vente aux enchères d’un panneau représentant une Vierge aux épis, d’accorder des dommages et intérêts sur le fondement de fautes commises par les experts ayant rédigé le catalogue de la vente. Pour les juges du fond, ces fautes consistaient en l’absence d’utilisation des méthodes dites scientifiques, en la réalisation d’un simple examen superficiel de la pièce et en une confiance excessive en l’authenticité de celle-ci en raison de sa provenance. Cette décision discutable faisait peser sur les experts une obligation, irréaliste, de recourir systématiquement aux analyses scientifiques. Elle fut réformée par les juges de la Cour d’appel de Paris qui, le 12 février 1954, tout en admettant la responsabilité des experts, prirent soin de relever que, si ceux-ci avaient “manqué de prudence dans la rédaction du catalogue”, ils n’étaient pas pour autant tenus de “soumettre à des examens scientifiques tous les tableaux mis en vente”.C’est dans le même sens que se prononcèrent dernièrement les juges de la Cour de cassation, dans l’affaire dite du “Poussin des frères Pardo”. Le 17 septembre 2003, ils décidèrent que les juges de la Cour d’appel de Paris – en relevant notamment qu’« un nettoyage ou des mesures scientifiques ou radiographiques ou d’autres investigations encore » n’auraient pas suffi à établir l’authenticité de la toile litigieuse par rapport à une copie d’époque – avaient correctement motivé leur décision de rejeter l’action en responsabilité intentée à l’encontre de la société de commissaires-priseurs chargée de la vente. La difficulté consistant en l’espèce dans le fait de distinguer l’original d’une excellente copie ancienne, l’observation était on ne peut plus pertinente, même si la mission de recherches et d’investigations confiée à la maison de ventes visait, au titre des moyens à employer, le recours à “tout expert, sachant, ou procédé scientifique”. Les relations entre l’analyse scientifique et l’expertise sont donc, aux yeux de la jurisprudence, parfaitement claire et cohérente – ce qui ne peut qu’être un gage de sécurité pour tous les professionnels. L’analyste scientifique, au même titre que le sachant, est un auxiliaire de l’expert, souvent précieux, mais pas toujours indispensable. L’expert n’est en effet nullement tenu de recourir à une quelconque mesure d’analyse scientifique lorsque celle-ci ne présente pas d’intérêt au regard de la mission qui lui est confiée