De la responsabilité

Deux nouvelles décisions de jurisprudence, rendues à la fin de l’année 2009, précisent l’étendue de la responsabilité des commissaires-priseurs et des experts.

Dans la première affaire (TGI Paris, 1er décembre 2009), un bronze de Rodin acquis en vente publique se révèle non authentique. L’acquéreur engage une action en responsabilité contre le commissaire-priseur et l’expert de la vente. Confirmant une jurisprudence constante, le tribunal de Paris condamne le commissaire-priseur et l’expert in solidum à rembourser les frais et honoraires acquittés par l’acheteur. Le tribunal réaffirme ainsi le caractère irréfragable des mentions portées sans réserve dans le catalogue de vente. Leur fausseté, intentionnelle ou non, permet l’annulation de la vente et engage inévitablement la responsabilité de la SVV. Comme le souligne Jean-Marie Schmitt, “la France a choisi d’appliquer au marché de l’art, malgré ses spécificités et ses aléas, les règles de protection du consommateur” (Le Marché de l’art, La Documentation Française, 2008).Le jugement semble plus nuancé pour l’expert ; le tribunal prend soin de relever toutes les circonstances de fait caractérisant la faute. Il souligne l’existence de nombreux faux Rodin et la plainte du musée Rodin pour contrefaçon dès 1989. Dès lors, “dans le contexte précité”, l’expert a fait preuve d’une «négligence fautive» en certifiant sans recherche particulière l’authenticité de l’oeuvre litigieuse. Il est vrai que le jugement du tribunal demeure sévère pour l’expert. En effet, une fois sa faute reconnue, il est condamné à garantir intégralement le commissaire-priseur ; or, ce dernier étant lui-même, par essence, un expert, il aurait été concevable que le poids de l’erreur, et subséquemment le coût de sa réparation, soient partagés entre ces deux professionnels. Ce jugement peut être rapproché d’un arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 2009. M. X fait établir une estimation «valeur d’assurance» de tableaux par un expert. X contracte ultérieurement un prêt, garanti par la remise en gage des tableaux. Le prêt n’ayant pas été honoré, la banque réalise son gage pour un montant très inférieur à celui de l’estimation. Elle engage en conséquence la responsabilité de l’expert. La Cour d’appel de Paris déboutera pourtant la banque au motif suivant : “Le fait que la société Y. ait surévalué certains tableaux de manière exagérée, même dans le cadre d’une estimation “valeur d’assurance”, ne permet pas à la banque d’engager sa responsabilité, dès lors qu’elle n’avait jamais été informée de l’utilisation par la banque de l’estimation remise à M. X.” Mais l’arrêt est sèchement cassé au seul motif “que l’expert qui surestime un bien commet une faute professionnelle». L’étude des faits permet de nuancer la sévérité qui paraît sous-tendre cette décision. Tout d’abord, les magistrats ne se sont pas fondés sur les valeurs résultant de la vente publique pour apprécier l’ampleur de la surévaluation. Selon la jurisprudence, une SVV, comme l’expert qui l’assiste, “ne répondent pas […] de l’aléa inhérent à la vente aux enchères publiques qui affecte le prix d’adjudication”. Les juges se sont en revanche fondés sur les chiffres ressortant de l’expertise judiciaire. L’expert judiciaire reconnaît qu’il est d’usage de fixer la «valeur assurance» à un montant supérieur de 30 % à la valeur du marché. Toutefois, il apparaît que les montants établis pour certains tableaux étaient très supérieurs à leur valeur réelle. Cette disproportion a causé un préjudice à la banque. Cette dernière n’aurait en effet pas accepté un montant de prêt aussi élevé si elle avait eu connaissance de la valeur réelle des oeuvres et aurait ainsi limité sa perte. Toutefois, la Cour de renvoi devrait retenir un partage de responsabilité. En effet, une valeur d’assurance, qu’elle soit déclarée ou agréée, n’engage pas l’assureur, qui peut toujours contester la valeur réelle du bien lors du sinistre. La banque a, à l’évidence, fait preuve d’une légèreté blâmable en retenant une telle valeur, de surcroît fixée près d’un an et demi avant la prise en gage des oeuvres. Il ne semble pas que la Cour de cassation impose une obligation de résultat en matière d’expertise. Elle rappelle que la valeur intrinsèque d’une oeuvre d’art ne saurait différer trop sensiblement selon la personne à qui l’expertise est destinée et l’utilisation projetée .