Au-delà de l’ébène, une palette de bois précieux exotiques et indigènes employés en placage vont contribuer au développement d’un nouveau décor.

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LA MARQUETERIE

La Renaissance Italienne a été une période décisive pour le développement de la marqueterie en Europe. Suivant les activités remises à la mode en Toscane, les Florentins, étroitement associés aux Hongrois, ont diversifié les procédés. Ces artisans italiens, les Instarioris, se sont répandus et ont travaillé dans le Sud de l’Allemagne, dans la région d’Augsbourg (figure 1), aux Pays-Bas, en Flandres et en Angleterre.

L’ébénisterie et le mobilier marqueté se sont définitivement établis en France au début du XVIIe siècle, avec l’arrivée des artisans flamands et hollandais, qui travaillaient avec les Français dans les ateliers royaux du Louvre et des Gobelins ainsi que ceux des faubourgs parisiens. Au cours du XVIIIe siècle, les Allemands ont joué un rôle important dans l’épanouissement du métier, grâce à cet esprit créatif qui faisait le prestige des meubles marquetés produits en France à cette époque. Cette activité a atteint son apogée sous Louis XVI. Ces ébénistes et marqueteurs allemands, influencés par le contexte parisien proche de la Cour versaillaise, ont développé leurs styles d’une manière assez différente de leurs collègues travaillant outre-Rhin.

LES DEUX GENRES DE MARQUETERIES EN VOGUE SOUS LOUIS XIV

Les plus beaux meubles de style Louis XIV ont été réalisés en France dans la deuxième partie du XVIIe et au début du
XVIIIe siècle. Cette période correspond au développement de l’ébénisterie avec une utilisation importante des placages de bois de pays ou des « îles », alors récemment (vers 1640-1650) importés d’Afrique ou d’Amérique du Sud.
Si la plupart des ébénistes sont établis au faubourg Saint-Antoine, au faubourg Saint-Germain et dans l’enclos du Temple, d’autres travaillent et sont logés dans les galeries du Louvre ou à la manufacture Royale des Gobelins, comme André-Charles Boulle, Jacques Sommer ou Philippe Poitou.

Ces derniers œuvrent en compagnie des Flamands et Hollandais tels que Michel Camp, Alexandre-Jean Oppenordt, Pierre Gole, ou l’Italien Domenico Gucci. Souvent appelée menuiserie de placage, la marqueterie sur les splendides cabinets, commodes ou coffres prend une grande importance. Cependant, deux genres de décors sont appliqués : la marqueterie de style Boulle et la peinture en bois importée par les ébénistes venus des Flandres ou quelques Français qui ont appris l’art de l’ébénisterie aux Pays-Bas. Si certains des ébénistes marqueteurs se sont spécialisés dans l’un des deux genres, la majorité des artisans ont adopté une attitude polyvalente en suivant le choix de leur clientèle. Cet article présente le premier genre : la marqueterie des style Boulle.

LE MEUBLE « BOULLE »

La « Tarsia a Incastro » ou la « découpe par superposition » est le nom donné au procédé utilisé par les artisans marqueteurs qui travaillaient dans le Sud de l’Allemagne vers 1620, dans la région d’Augsbourg. Sous Louis XIV, André-Charles Boulle (1642 – 1732) a particulièrement développé cette technique et créé son propre style ainsi que sa technique en s’inspirant des réalisations des artisans italiens qui travaillaient à Augsbourg. Il utilisait souvent des dessins de Gérard Audran (1640-1703) et de Jean Berain (1640-1716), dessinateur des Menus Plaisirs à la cour du roi. Deux des fils d’André-Charles Boulle, Jean-Philippe et Charles-Joseph lui ont succédé à l’atelier des galeries du Louvre jusqu’à la disparition de ce dernier en 1754.

Quand on désigne un Meuble Boulle cela signifie qu’il est décoré d’une marqueterie composée de laiton et d’écaille de tortue souvent enrichie d’élément en corne teintée, en étain et cuivre. Cependant, seuls les meubles dont la traçabilité et les archives confirment leur commande et leur appartenance à des familles royales ou princières sont attribués et considérés comme étant de l’atelier de l’ébéniste du Roi. Les autres appellations, «à la manière Boulle », « dans le stylede Boulle », « dans le goût de Boulle » désignent des meubles dont les décors similaires sont réalisés par des ébénistes tels que Nicolas Sageot, Jean Pierre Latz, ou Bernard Van Risenburgh qui sont établis dans le faubourg Saint-Antoine. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les ébénistes ont utilisé ses décors composés de métal, de corne et d’écaille de tortue mais avec une moindre importance.

Cette méthode simple consiste à superposer deux placages contrastés et de les découper simultanément avec une lame de scie en suivant le tracé d’un motif collé sur la partie supérieur du paquet. Ce découpage terminé,  l’ébéniste-marqueteur sépare les placages puis inclus les différents éléments et parties dans les fonds et inversement. De cette manière il obtient des décors appelés Partye pour le premier et Contre-Partye pour le second (fig. 2).

L’intérêt de cette technique est qu’elle ne nécessite qu’un seul dessin à découper pour réaliser plusieurs décors semblables – car au XVIIe siècle les procédés pour reproduire les dessins sont coûteux – et elle permet également de ne pas avoir trop de chutes de matières. Au XVIIe siècle, l’exécution des marqueteries ne se limite pas à deux épaisseurs de matières mais la mode décorative est au placage de métal, en particulier du laiton associé à d’autres matières comme le bois, l’écaille, la corne, l’ivoire et l’étain.

RÉALISATION D’UN OUVRAGE DANS LE STYLE DE BOULLE

Ces décors nécessitent la préparation de bois, de métaux et de matières animales en placages qui doivent être d’une épaisseur à peu près égale.

Le bois : Les essences les plus employés sont le palissandre du Mozambique (famille des Dalbergia), l’ébène de Madagascar (famille des Diospyros), le poirier noirci, l’amarante et quelque fois le palissandre d’Asie. L’ébène sert le plus souvent d’entourage de bande ou
de frise et quelquefois il est inclus dans le découpage des motifs. Ce dernier, rare et onéreux est réservé aux commandes royal, princières ou à d’importants personnages de la noblesse. Le poirier teint en noir se substitue à l’ébène pour les meubles de moindre qualité. L’amarante, associé à l’étain, est utilisé dans les motifs de marqueterie qui décore des cabinets ou des bureaux Mazarin à huit pieds. André-Charles Boulle applique fréquemment ce décor sur le contreparement des portes de ces meubles (fig. 3).

L’écaille : Son emploi semble avoir commencé au début du XVIIe siècle en Flandre et dans le Sud de l’Allemagne. Cette matière provient des carapaces de trois tortues marines appartenant à l’ordre des Chéloniens : la Eretmochelys imbricata appelé Caret, le Chelonia mydas appelé Franche ou Verte et la Caouanne dénommée Caretta caretta. La Caret et la Franche possède treize écailles brunes sur la partie dorsale et dix-huit à vingt écailles rosées ou jaunâtres – en fonction de l’espèce – sur le plastron. Ces plaques bosselées et d’épaisseurs irrégulières sont plongées dans une eau très chaude et salée à 33 grammes de sel par litre afin de les dégraisser et de les assouplir afin de les calibrer par raclage et ponçage manuelle. On profite de cet état malléable pour effectuer le polissage du contreparement avec un abrasif à l’eau et ensuite,
on dispose l’écaille entre deux plaques chauffées à 70 / 80 degrés de façon à ce qu’elle sèche à plat. Après le polissage, celles-ci devenues transparentes, sont mises en couleur par l’ajout d’un papier coloré et collé sur le contreparement. Les artisans flamands, au début du XVIIe siècle, habillaient principalement leurs meubles avec des écailles Franche dont la matière fine très transparente était fortement colorée en rouge (fig. 4).

En revanche, les ébénistes français, sous Louis XIV, préféraient l’écaille …